Il suffit de jeter un coup d'oeil d'en haut des crêtes pour voir la place des arbres dans le paysage : ils dominent à plus de 75 %. Mais derrière l'uniformité se cache une autre forme de diversité. Pour la percevoir il faut s'initier quelque peu au vocabulaire local (et non technique). Nous appellerons ainsi :
Une partie de ces boisements sont exploités depuis longtemps en complément avec l'agro-pastoralisme (ex. le chêne vert pour le chauffage et, autrefois, pour le charbon de bois), la châtaigneraie bien sûr, les boisements de pins (poteaux, pâte à papier), mais les forêts d'altitude ont été en grande partie plantées à la fin du XIXe siècle pour maîtriser l'érosion née d'un excès de "pastoralisme"... Et oui, l'agro-pastoralisme poussé à l'excès (trop d'animaux sans protection du sol ni gestion de la ressource végétale) conduit à la destruction de ses propres ressources.
La châtaigneraie a été la base historique du développement des Cévennes : les premiers pollens de châtaigniers apparaissent quelques 7 à 800 avant J-C. Ils ont vraisemblablement été importés du "Levant" en même temps que les premiers agriculteurs remplaçaient, aux âges préhistoriques, les "chasseurs-cueilleurs". Plus tard les grandes abbayes de Provence et du Languedoc ont développé sa culture. Daniel Travier, conservateur du Musée des vallées cévenoles à St Jean du Gard a fait le point sur cette question pour Agropolis Muséum : cf. "L'arbre à pain des Cévennes".
Le développement de son expansion démarre toutefois au XVIe siècle seulement et s'accentue au début du XIXe siècle en même temps que la démographie se densifie.
Aujourd'hui sa place reste importante dans le paysage mais elle trop souvent laissée sans entretien ce qui en fait la proie de plusieurs maladies qui la laissent dépérissante. Les châtaigneraies entretenues sont encore exploitées et produisent leur lot de diverses variétés anciennes ou modernes après greffage (cf. diaporama ci-dessus). Aujourd'hui leurs fruits sont ramassés avec des filets et commercialisés frais ou secs, en farine ou transformés (confitures, marrons glacés).
Mais leurs sous-produits sont également nombreux : pollens pour les abeilles, champignons, chasse etc.
La châtaigneraie, vue sa place dans l'histoire, a aussi une valeur symbolique forte inséparable de l'identité cévenole.
Châtaigneraie-bouscas, châtaigneraie-verger, AOC-AOP, marque déposée
Rencontre avec Christian Dejean, agriculteur (Ste-Croix-de-Caderle)
La différence entre les taillis de châtaigniers non greffés (" bouscas ") et les châtaigneraies qui produisent des fruits consommables, ce sont les greffes et la culture. Les châtaignes des bouscas on les donnait autrefois aux animaux. Les châtaigniers qui sont greffés comme tous les autres arbres fruitiers : des "greffons" (tige issue de la variété recherchée) sont implantés sur un "porte-greffe" pour obtenir l'une des nombreuses variétés qui existent encore dans les Cévennes. Ces varités sont adaptées à différentes conditions de culture selon les lieux, les sols, les expositions, l'altitude, et les fruits sont précoces ou tardifs, consommables plutôt en frais ou secs, etc. Dans le cadre de l'AOC/AOP Cévennes une trentaine de variétés traditionnelles ont été retenues pour identifier un produit spécifique à la zone géographique (Gard, Lozère, Hérault). Ce produit est associé à un savoir-faire bien défini (actuel et passé) : la " châtaigne des Cévennes ", marque déposée, n'est pas ramassée au bord des routes.
Cette châtaigneraie-là (à Ste Croix-de-Caderle) je l'ai entretenue pendant huit ans. C'était un verger expérimental fait par la Société du Bas-Rhône pour tenter des greffes sur une variété asiatique, le M 15, qui résistait à l'encre. Comme porte-greffe il n'est pas bon : les arbres mouraient après quelques années, mais les M 15 ont été exploités tels quels. Ils ont une cinquantaine d'années maintenant. Quand il pleut suffisamment en été, les châtaignes grossissent assez pour être commercialisées en fruits frais, notamment dans le nord de l'Europe.
Pour entretenir ce genre de châtaigneraie il faut les " nettoyer " tous les ans à la débroussailleuse (pour 4 ha il faut bien deux mois de travail) et tout évacuer du sol au moment de la récolte : enlever les fruits mais aussi toutes les feuilles. Pour ça le ramassage au filet est commode : ça permet de tout dégager, bogues, feuilles et fruits. C'est le seul moyen pour qu'il ne reste rien qui puisse ensuite servir de refuge aux vers qui se développent dans les châtaignes. Le ver se met dans le sol aussitôt que les châtaignes tombent et, au printemps, le papillon monte pondre dans l'arbre et le cercle de l'infestation recommence !
A la suite du développement des maladies qui affectent les châtaigniers (l'encre et l'endothia, deux champignons : le premier dans les racines, l'autre sous l'écorce) et pour tenter de relancer la culture du châtaignier, des expérimentations ont été faites avec de nouvelles variétés, produites par hybridation où importées d'Asie. Certaines de ces variétés se sont bien adaptées mais elles ne sont pas incluses dans l'AOC car on peut les produire ailleurs. L'AOC ne concerne que les variétés locales. Malheureusement, après les maladies est apparu le Cynyps, au début des années 2000 : un parasite dont les larves passent l'hiver dans les bourgeons et provoquent la formation de galles qui empêchent l'arbre de produire des feuilles normales (cf. photo). La chute de la production fruitière est énorme et cela provoque la mortalité des rameaux, voire celle de l'arbre. Comme c'est un insecte qui ne se déplace pas beaucoup on suppose que c'est le transport de plants greffés par l'homme qui a propagé la maladie depuis l'Italie. Maintenant il est bel et bien là. On tente de contenir le Cynips par la lutte biologique avec une micro-guêpe (Torymus sinensis) qui pond dans les jeunes galles encore tendres. Les larves qui sortent des oeufs s'attaquent à celles du Cynips.
Depuis une dizaine d'années un dossier d'AOC (France) / AOP (Europe) est en cours d'examen par l'INAO. C'est l'association Châtaignes et marrons des Cévennes et du Haut-Languedoc qui le porte. Il concerne une centaine de producteurs, des associations et des opérateurs (transformation, commercialisation). Le but c'est de valoriser la production de châtaignes, de se démarquer par rapport aux autres régions de production et de renforcer la filière pour avoir une meilleure maitrise qualitative de la production. L'INAO doit bientôt valider la zone géographique (périmètre, sols, climat etc) et le Cahier des charges est en cours d'élaboration avec les caractéristiques du produit (sélection, antériorité locale, originalités gustatives) et les conditions de production : savoir-faire, techniques employées, produits transformés ayant une antériorité démontrée qui justifie le label. En attendant la marque " Châtaignes des Cévennes " a été déposée.