"Depuis plus de quarante ans, je reçois chaque année un certain nombre de lettres rédigées de la façon suivante : "Monsieur, je suis un ouvrier, ou un étudiant, ou un petit commerçant ou un fonctionnaire, etc. J'habite la ville, je ne peux plus m'y sentir. Je n'aime pas mon métier. Je n'aime pas l'argent. J'aimerais vivre en liberté et travailler à ce que j'aime : écrire (ou peindre, ou faire de la céramique - beaucoup de céramique - ou composer des chansons, etc.). Ne pourriez-vous pas me trouver dans votre pays une place de berger ?"

... Ils voient généralement le berger comme un personnage de l'Astrée ou des Lettres de mon moulin, dont tout le travail consiste en promenades, en haltes sous les ombrages, en contemplation du vaste ciel étoilé, une sorte de beau ténébreux dont on justifie la déambulation romanesque avec quelques quadrupèdes herbivores et lainiers qui le précèdent gentiment sur les sentiers d'un monde virgilien. Les plus excités vont jusqu'au chien : au chien courant, au chien qui... à ce magnifique ami muet dont les bons yeux ruissellent d'adoration et d'obéissance. Et nous voilà parti pour les rêves : Ah ! si j'étais berger, comme j'écrirais facilement le roman que je veux écrire, comme je peindrais magnifiquement, comme je serais enfin le grand bonhomme que je suis !

S'il fallait être "aussi berger", ce serait à se foutre dans les douanes, comme disait l'autre. Car berger, c'est un métier : c'est même un sacré métier ! Et écrire un livre est un métier aussi et peindre en est un autre ; ne parlons pas de la céramique..."

 

Extrait du "pré-texte" de Jean Giono pour "Le berger" d'Anne-Marie Brisebarre dans la collection "Métiers d'hier et d'aujourd'hui" ( Berger-Levrault)

" Un sanglier en plein jour aux Bastides !

 

Cette placette, elle est en train de redevenir un morceau de la colline sauvage, telle qu'elle était avant. Le chemin des plaines est presque bouché par une grande clématite qui s'est écroulée. En temps ordinaire, on aurait eu vite fait de déblayer le chemin. Le monde des arbres et des herbes attaque sournoisement les Bastides.

- Caresse ! Il a dit : "Caresse". comme c'est facile.

Et si tu nemets pas la bêche, et si tu ne mets pas la hache, si tu ne fais pas place nette autour de toi, si tu laisses, une fois, tomber l'acier de tes mains, la foule verte submerge tes pieds et tes murs. C'est une faiseuse de poussière. Jaume lève la tête. Devant lui, sur l'autre bord de la placette, une ombre se coule sous l'abri du chêne : un sanglier ! La bête se rase à peine sous les feuilles. Elle va à la fontaine ; elle renifle le bassin vide ; son sabot fouille la terre.

Le fusil de Jaume est là, contre le mur ; il suffirait d'étendre la main. Jaume n'étend pas la main. C'est quelque chose de nouveau et d'inquiétant.

Le sanglier a vu l'homme. Tranquillement il choisit son lit et se vautre dans la poussière. Le fusil reste contre le mur. Jaume, le front penché, les mains jointes entre les genoux, regarde devant lui comme s'il ne voyait pas. Il n'a même pas une pensée pour le fusil. Il a peur. Sa peur est dans lui comme une écharde, et tout son corps est douloureux autour. Il a peur ; c'est pour ça qu'il n'a pas étendu ses mains vers le fusil. Il ne pense plus à sa puissance d'homme, il pense qu'il a peur et il se recroqueville dans sa peur comme une noix dans sa coque.

La sauvagine grogne en se frottant le dos. Elle se dresse, hume en rond, gambade lourdement puis, de son petit trot paisible, regagne le bois. "

 

(à la fin du livre, après l'incendie et la mort du vieux Janet)

 

- Regarde, dit-il à voix basse.

Sur la pente, vers le désert, une forme noire bouge. Un sanglier.

- Ah l'enfant de pute !

Déjà Jaume a pris le fusil et l'épaule. Il vise à deux fois, posément, avec la volonté de tuer. Le coup déchire les bruits familiers de la fontaine et des maisons. 

- Il en a.

- Oh, oh, crie Arbaud des champs.

Ils courent, les autres, vers la bête qui se débat en faisant voler les mottes de terre.

C'est un gros marcassin, tout hérissé, comme une châtaigne. La chevrotine l'a éventré et le sang gargouille entre ses cuisses. Il essaye de se dresser encore sur ses pattes ; il hurle en découvrant ses grandes dents blanches de fouisseur.

Et c'est Mauras qui l'achève à coups de serpe.

 

Colline, Jean Giono, Bernard Grasset, 1929

Les brebis mâchaient, la tête basse, en hâtant le pas avec une sorte d'obstination. L'arrière-garde qui avait été coupée du reste du gros du troupeau avait tendance à se regrouper. Sur ces longues pentes nues, on entrevoyait parfois le déroulement du troupeau tout entier qui serpentait sur des kilomètres, dans la hauteur, en charriant sa caravane d'ânes et de mulets, de charrettes bâchées, de fourgons. L'avant-garde était encore très loin des falaises abruptes de la cime où s'ouvrait comme une sorte de brêche...Ils décampèrent à l'aube et la montée recommença, tout doucement, pas à pas, d'un pas si prudent que la cloche des béliers ne sonnait même pas ; on n'entendait que le piétinement dans les pierrailles. Il fallut tout le jour pour atteindre le bas des falaises. Ils se pointaient en direction de la brêche qui ouvrait le passage. C'était pourtant la nuit...

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Les béliers avaient pris un pas lent et long ; le balancement paresseux de leurs cloches battait des tambours voilés, toute la troupe emboîtait le pas en cadence dans le velours du matin. Il faisait frisquet. Le soleil ne se risquait pas jusqu'au fond de la vallée ; de temps en temps il envoyait un rayon qui éclatait tout de suite en poussière avant de toucher terre et il placardait sur les parois de la montange les prés acides ou le mordoré des foins coupés. A mesure que l'heure passait, la lumière écartait davantage les branches de son éventail ; des décors s'effaçaient, d'autres se dressaient : un pan de forêt en écailles noires, des rochers ruinés qui échangeaient quelques gros oiseaux, la couronne grenat d'un village de bois au sommet de vertigineuses prairies, la chapelle de Saint-Basile avec son clocher en fer de lance, en équilibre dans de fragiles éboulis d'argent, une étroite chûte d'eau dressée immobile sur le socle des bosquets, bourdonnant comme un bourdon, une forteresse dépenaillée dans des ardoises, la fourrure des frênes le long des sentes, les éclats de lumière dans les pierriers, les jardins potagers très hauts, gros comme des timbres et peints en violet à coups de pioche ; les forêts de mélèzes réchauffés fumaient comme des tas de cendres.

 

L'iris de Suze, Giono, Gallimard (1970)

 

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