A l'origine, les nourritures naturelles de l'homme sont les bêtes et les plantes de son territoire, le mammouth, le caviar, l'huitre, la truffe, les insectes, les fruits... Tout cela spontanément, à la fortune de l'heure. Le premier lièvre fut un lièvre brûlé dans un feu de forêt. La pomme d'Eve était un fruit, tout simplement. Le fameux rouget aux olives noires a jailli tel quel de l'écume de la mer, comme Vénus.
L'alimentation n'est que la respiration de l'estomac, une fonction, un jeu. L'homme mange comme le lion, la libellule, la dionée ou l'H20. Les saveurs les plus ingénues, les mariages de saveurs les plus simples sont les plus parfaits. A ces naïves époques, attraper un poisson était aussi important que de faire l'amour, et roupiller au soleil aussi savoureux que de lire Baudelaire. Entre la nature et la nature de l'homme il y a exquis métabolisme, entière transsubstantiation, par longueur d'onde, ambiance, osmose, sympathie, écho. D'où que la nourriture a double fonction, elle répond au rêve de notre âme comme à l'appétit de nos entrailles. Elle nourrit, mais aussi, mystérieusement, elle guérit. Voici que la proie prend le nom de la Victime et que la Victime sauve l'humanité : " Prenez et mangez, ceci est mon corps "…
Oui, c'est le jour du mouton.
Cet opulent, ce baroque, ce mérovingien, qui pue hautement le benjoin, l'azote en chaleur et le pissat mâle, qui vous suffoque le nez et vous affole le fondement.
Son infernal fumet épouvanta longtemps nos aïeux et nos aïeules. Maman bergère me contait que, gardant son troupeau dans son enfance, si quelque bête par malencontre venait à rouler par les précipices et s'y cassait les reins, les bergers l'y abandonnaient aux aigles ; pour rien au monde ces pauvres gens n'auraient touché à la chair de mouton...
" La cuisine paléolithique ", Joseph Delteil, Arléa-Presses du Languedoc, 1990